MSF et Greenpeace effectuent un sauvetage en mer
Recension

A propos du psychotrauma

Rony Brauman
Rony
Brauman

Médecin, diplômé de médecine tropicale et épidémiologie. Engagé dans l'action humanitaire depuis 1977, il a effectué de nombreuses missions, principalement dans le contexte de déplacements de populations et de conflits armés. Président de Médecins Sans Frontières de 1982 à 1994, il enseigne au Humanitarian and Conflict Response Institute (HCRI) et il est chroniqueur à Alternatives Economiques. Il est l'auteur de nombreux ouvrages et articles, dont "Guerre humanitaires ? Mensonges et Intox" (Textuel, 2018),"La Médecine Humanitaire" (PUF, 2010), "Penser dans l'urgence" (Editions du Seuil, 2006) et "Utopies Sanitaires" (Editions Le Pommier, 2000).

Rony Brauman présente « L'Empire du traumatisme », une enquête sur la condition de victime par Didier Fassin et Richard Rechtman. Cet ouvrage aborde la question du traumatisme à rebours de toute posture normative ou dénonciatrice.

Un nouveau personnage est apparu sur les lieux des catastrophes, là où ne se montraient auparavant que les sauveteurs : le psychologue. Attentats ou accidents de la route, violences scolaires ou cataclysmes naturels, conflits armés ou crimes sexuels, les événements donnant lieu à des interventions « psy » sont quotidiens, ce dont témoigne également l’entrée de termes tels que « traumatisme » et « travail de deuil » dans le lexique médiatique courant ou encore l’existence d’une discipline psychiatrique nommée victimologie, pour ne rien dire de l’éphémère secrétariat d’Etat aux victimes voulu par Jacques Chirac. La question des victimes est désormais centrale dans notre monde post-héroïque. Posée sous les auspices de la réparation, à la fois symbolique par la reconnaissance et matérielle par le dédommagement, elle est au cœur des préoccupations collectives. Certains s’en félicitent, non sans raison, y voyant la reconnaissance de souffrances longtemps négligées et la possibilité d’y remédier. D’autres le déplorent, y décelant à juste titre les signes inquiétants de la carence de projet collectif et de l’envahissement de la vie par la psy.

L’ « enquête sur la condition de victime » conduite par Didier Fassin et Richard RechtmanL’Empire du traumatisme, enquête sur la condition de victime, 448p., Flammarion, 2007., pièce majeure venant s’ajouter à ce dossier, se situe sur un autre registre et vient éclairer la question sous un nouveau jour. C’est à partir de la notion de traumatisme qu’ils empruntent à leur tour ce chemin tant de fois parcouru. Loin de reproduire, cependant, la trajectoire de leurs prédécesseurs, à rebours de toute posture normative ou dénonciatrice, ils nous font découvrir les modalités de la production sociale du traumatisme dont ils retracent l’histoire depuis le XIXème siècle, date de son apparition.

La violence et la souffrance fascinent, émeuvent, intimident, tirant ceux qui en font un objet d’étude vers la sympathie ou la condamnation. Pour prendre de la distance, éviter ce qu’ils considèrent comme une complaisance sur laquelle butent les tentatives de compréhension, ils ont choisi de s’intéresser à ce que cache le statut de victime plutôt qu’à ce qu’il dévoile, afin de « saisir en creux la figure victimaire que dessine le traumatisme. » Le mot apparaît à la fin du XIXème siècle pour décrire les conséquences sur le système nerveux des accidents de train. De lésion neurologique, il est passé, sous l’impulsion de Charcot, du côté de la psychiatrie comme manifestation hystérique d’origine neurologique. Et c’est avec Freud, que fut affirmée l’origine psychologique de la « névrose traumatique. » La relation entre le choc et les signes cliniques n’a cessé de faire débat et ce livre rend compte avec précision de la trajectoire tourmentée, pleine de rebondissements inattendus, d’une notion plus complexe qu’il n’y paraît. Lié d’emblée à un enjeu de réparation, dans le contexte du système assurantiel naissant, le traumatisme ne cesse d’osciller depuis lors entre soupçon et reconnaissance jusqu’à la fin des années 1970.

La psychiatrie américaine était alors engagée dans un processus de renouvellement clinique, lui-même lié à l’enjeu du remboursement des frais médicaux par les assurances. Dans ce contexte et sous la pression de lobbies de vétérans du Vietnam et de féministes, alliés de circonstance, le syndrome de stress post-traumatique fit son apparition dans la classification officielle des troubles mentaux. La reconnaissance de symptômes causés par un événement violent était essentielle pour ces soldats vaincus et déconsidérés, ainsi requalifiés en victimes, comme pour les femmes déterminées à rendre visibles les abus sexuels commis sur les fillettes. Détaché du psychisme et de la névrose, le traumatisme était désormais l’ « attribut d’une rencontre injuste entre un homme ordinaire et un événement. » C’est sur ces bases que s’est développée au cours des années 90 la pratique des « cellules d’écoute » dépêchées par les pouvoirs publics sur les lieux d’accidents ou de crimes, comme celle des interventions « psy » humanitaires dans les situations de catastrophes. Les auteurs ne cachent pas leur scepticisme sur les bienfaits de cette technique mais leur propos n’est pas ici d’en juger. C’est aux transformations de l’économie morale de notre société qu’ils s’intéressent sans pour autant prétendre renoncer eux-mêmes à un point de vue moral, ce qui n’est pas le moindre de leurs mérites. On entendra surtout d’une autre oreille, après la lecture de ce livre passionnant, les critiques hâtives des comportements victimaires qui seraient la marque de l’époque.

 

Pour citer ce contenu :
Rony Brauman, « A propos du psychotrauma », 22 février 2007, URL : https://msf-crash.org/fr/medecine-et-sante-publique/propos-du-psychotrauma

Si vous souhaitez critiquer ou développer cet article, vous pouvez nous retrouver sur Twitter ou directement sur notre site.

Contribuer