Recensement militaire
Analyse

Blessés, réfugiés, déplacés. Médecine et conflits armés

Rony Brauman
Rony
Brauman

Médecin, diplômé de médecine tropicale et épidémiologie. Engagé dans l'action humanitaire depuis 1977, il a effectué de nombreuses missions, principalement dans le contexte de déplacements de populations et de conflits armés. Président de Médecins Sans Frontières de 1982 à 1994, il enseigne au Humanitarian and Conflict Response Institute (HCRI) et il est chroniqueur à Alternatives Economiques. Il est l'auteur de nombreux ouvrages et articles, dont "Guerre humanitaires ? Mensonges et Intox" (Textuel, 2018),"La Médecine Humanitaire" (PUF, 2010), "Penser dans l'urgence" (Editions du Seuil, 2006) et "Utopies Sanitaires" (Editions Le Pommier, 2000).

Mon intervention porte sur les pratiques de Médecins sans frontières en situation de conflit armé. Pour en comprendre les modalités, au-delà des exigences propres de la pratique médicale dans un environnement pauvre, il est nécessaire de les saisir dans leur mouvement et leur contexte. Pour cela, je distinguerai trois périodes : années 1970, années 1980 et enfin les années 1990 jusqu’à nos jours. Au cours des années 1970, qui sont celles des débuts (MSF a été créée en décembre 1971), l’action humanitaire dans la guerre restait marginale. L’accent était mis sur l’aide au développement, tant du côté des associations d’entraide que de celui des institutions internationales. La décennie 1980 fut, par contraste, celle de l’essor de l’action humanitaire directement liée aux situations de conflits. Dans le contexte de la guerre froide, l’aide humanitaire et la défense des droits de l’homme bénéficièrent alors d’un intérêt et d’un soutien publics croissants. Depuis le début des années 1990, et sans véritable coupure jusqu’à nos jours, des interventions dites militaro-humanitaires généralement mandatées par l’ONU prennent place sur les terrains de conflit où elles deviennent parfois de nouveaux belligérants et modifient en profondeur le paysage de l’aide humanitaire. Les attentats du 11 septembre 2001 ont radicalisé cette tendance.

De nombreuses organisations humanitaires font de la guerre du Biafra (1967-1970) un moment fondateur ou un tournant majeur de l’aide d’urgence. Non sans raison, puisque ce conflit a entraîné le premier grand déploiement d’ONG et de Croix-Rouge de nombreux pays européens. D’un point de vue purement factuel, c’est au Congo-Kinshasa, pendant la guerre du Katanga, que l’on pourrait situer l’origine du renouvellement de l’aide humanitaire sous la forme d’une intervention lointaine et à grande échelle. Si c’est à la guerre du Biafra qu’est attaché ce rôle originel (comme l’est la bataille de Solférino pour la création de la Croix-Rouge et du droit humanitaire), c’est en raison du lien établi entre aide d’urgence et dénonciation publique, la mise en oeuvre de celle-ci étant largement portée par les acteurs de celle-là. Ce « mythe des origines » repose sur des faits avérés mais il masque la véritable innovation intervenue dans le domaine de l’assistance internationale, à savoir l’idée de créer un organisme médical spécialisé dans l’aide d’urgence et particulièrement dans les guerres et catastrophes naturelles, selon l’expérience qu’en avaient eue les équipes médicales de la Croix-Rouge française dans le réduit biafrais. Le Gimcu (Groupe d’intervention médico-chirurgical d’urgence), devenu MSF en décembre 1971, énonce par son intitulé l’intention de ses fondateurs : créer une organisation de type Samu fonctionnant selon des principes humanitaires à l’échelle internationale. La médecine de guerre et de catastrophes pratiquée par des civils et en dehors des institutions alors légitimes, telle était la nouveauté introduite par la création de MSF.

Pour évidente qu’elle paraisse désormais, cette idée ne s’imposait pas alors comme telle. Il fallut près d’une dizaine d’années pour qu’elle prenne corps et commence à devenir une modalité de réponse aux crises. Entre temps, durant les premières années de son existence, MSF fut contrainte de se redéfinir en filière de recrutement médical pour des organismes d’aide au développement, de coopération et la Croix-Rouge. Ce n’est pas la guerre mais le sous- développement, qui formait le cadre du travail des médecins de l’association. Énoncé dans les termes de l’époque, le progrès médico-sanitaire des populations du tiers-monde devenait la raison d’être de MSF. Cette définition coexistait cependant avec une autre vocation, portée par une partie des animateurs de MSF : exercer une fonction d’alerte en direction de l’opinion publique et des institutions d’aide existantes afin de les pousser à intervenir.

L’armée avait, de son côté, créé l’Emmir (Elément médical militaire d’interventon rapide), branche médicale de la Force d’assistance humanitaire militaire d’intervention rapide (Fahmir) formée en 1964. L’Emmir fut mobilisé lors de plusieurs catastrophes naturelles puis à l’occasion de conflits armés à partir des années 1970 mais, à une exception prèsCelle de la guerre de N’Djamena (1980) où de nombreux blessés furent opérés dans cette lourde unité médico- chirurgicale aérotransportable.,ne put jamais être déployé.

La première intervention médicale conduite par MSF en situation de guerre eut lieu au Liban, en 1976, après quelques tentatives restées sans lendemain, notamment au Kurdistan d’Irak (1974), en Angola (1975) et au Vietnam (1975). Les équipes chirurgicales de MSF, seuls médecins étrangers sur place, utilisèrent les installations improvisées par les groupes qui les avaient invitées à venir (Comité des déshérités, organisme chiite, Croissant-Rouge palestinien). Elles y opérèrent plusieurs mois jusqu’à la chute de l’enclave chiite de Nabaa conquise par les phalangistes chrétiens.

Cette même année, des membres de MSF commencèrent à travailler dans des camps de réfugiés - indochinois en Thaïlande, puis angolais au Zaïre, et éthiopiens à Djibouti - sous l’égide d’autres organismes qui en avaient les moyens matériels mais ne disposaient pas de médecins.

La recrudescence de conflits armés dans le tiers-monde au cours de ces années entraîna d’importants mouvements de populations auxquels la majorité des gouvernements des pays frontaliers réagirent par la création de camps de réfugiés (le nombre de réfugiés enregistrés est passé de 3 millions en 1976 à 11 millions en 1982 et a continué de croître au cours des dix années suivantes)Jusqu’alors, les réfugiés se trouvaient principalement en Europe, en provenance des pays communistes. C’est la raison pour laquelle l’URSS n’était pas membre du HCR, créé à l’origine pour assister les réfugiés fuyant le bloc de l’Est, pour lesquels fut adoptée la convention de Genève de 1951.. Le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), chargé de fournir un statut juridique et une aide matérielle aux réfugiés, commença en 1976 à faire appel aux organisations humanitaires privées pour y assurer la mise en oeuvre de l’assistance. Jusqu’alors, pour l’essentiel, celle-ci était le fait des autorités étatiques des pays d’accueil.

C’est dans ce contexte que MSF scissionna en 1979 au terme d’un conflit interne qui se conclut par le départ de la plupart des fondateurs. La nouvelle équipe dirigeante, composée de médecins ayant fait leurs premières expériences au sein de MSF dans des camps de réfugiés et ayant constaté l’inexistence de structures médicales dans ces nouveaux territoires de l’aide internationale, fit le choix d’y intervenir systématiquement. Les liens de ces camps avec les mouvements de guérilla opérant de l’autre côté de la frontière, autant que la proximité géographique des uns et des autres, favorisèrent le passage d’équipes de MSF dans les zones de guerre elles-mêmes.

Dès le début des années 1980, la médecine de guerre pratiquée par MSF prit deux formes distinctes: d’une part, l’installation généralement clandestine d’équipes médicales dans des régions contrôlées par les guérillas, d’autre part et plus fréquemment, les soins médicaux et la santé publique dans les camps de réfugiés en zone rurale. Ces camps étant généralement situés dans des régions reculées, la logistique prit rapidement une grande importance dans les opérations. Dans ces territoires administrés par le HCR, et qui rassemblaient de plusieurs dizaines à, parfois, plusieurs centaines de milliers de personnes (Malawi, Pakistan, Thaïlande), MSF a développé au fil des années une méthodologie d’intervention empruntant des savoir-faire existants qui furent adaptés et assemblés pour en faire un dispositif opérationnel : dispensaires et unités d’hospitalisation le cas échéant, vaccination, surveillance épidémiologique des principales maladies transmissibles et de la malnutrition, réponses aux épidémies aiguës telles que le choléra et la rougeole, contrôle (et parfois approvisionnement) de l’eau, transports, construction, télécommunications. Des listes standardisées de médicaments et de matériel furent constituées, l’ensemble étant conditionné dans des « kits » et accompagné de manuels d’utilisation, ce qui imposait l’homogénéisation voulue des pratiques médicales. Infections respiratoires et digestives, paludisme, dermatoses, malnutrition constituent la masse des pathologies rencontrées. Modulé en fonction des circonstances (autres intervenants, profils géographiques et/ou sanitaires différents), ce dispositif a également été mis en place dans des camps de personnes déplacées. Ces kits sont régulièrement revus, réajustés en fonction des besoins de terrain, ce qui a nécessité la création d’une base logistique pour la préparation et le stockage du matériel.

Le travail effectué clandestinement dans les maquis rebelles (Afghanistan, Erythrée, Tchad, Angola) était beaucoup plus limité sur le plan médical en raison des difficultés logistiques : dans de telles conditions, il était impossible d’aller au-delà des soins de base dispensés dans des postes de santé ruraux improvisés et/ou dans des hôpitaux de brousse. Ce type de mission a fortement contribué à la notoriété des associations humanitaires médicales françaises, dont il a façonné l’image publique et c’est pourquoi il a eu une grande importance symbolique. Il n’a plus cours depuis la fin de la guerre froide, les conditions qui les justifiaient ayant disparu.

Pour l’essentiel, cette médecine de guerre fut donc une médecine civile pratiquée dans un contexte de conflit armé. Ce constat vaut en général, mais il connaît de notables exceptions qui imposent alors la présence d’une équipe chirurgicale, éventuellement mobile, ou alors un système de transferts des blessés vers un hôpital.

Au cours des années 90, le nombre de personnes déplacées a crû considérablement tandis que diminuait celui des réfugiés, phénomène auquel a participé le transfert de l’assistance depuis l’extérieur vers l’intérieur de pays en guerre (Somalie, Bosnie etc, jusqu’au Darfour) en particulier ceux où étaient déployées des forces de l’ONU. Mais, dans un environnement rural où les combats sont fluctuants, mobiles, dispersés, de sorte que peu de blessés arrivent aux structures médicales, la chirurgie était reléguée à l’arrière-plan. Au cours de cette période, le travail de MSF dans les pays en guerre différait peu de celui effectué dans des camps de réfugiés, dont il était une transposition. Notons que chaque fois que c’est possible, MSF se place dans des structures médicales et chirurgicales existantes, en complétant les équipes locales avec lesquelles elle collabore en fournissant des équipements manquants, en réhabilitant et en agrandissant les locaux le cas échéant. La communication de Marc Le Pape décrivant avec précision les conditions et le contexte de telles interventions en RD Congo et en Côte d’Ivoire, je me contenterai d’évoquer la question des relations avec les missions de paix de l’ONU et leurs contingents de casques bleus. Selon l’ONU, les acteurs humanitaires doivent être l’un des leviers de l’action pour la paix et, par exemple, respecter un embargo destiné à faire céder un groupe armé hostile. On voit dans ce cas que les alliances politiques, et donc les exclusions, qui structurent inévitablement les plans de retour à la paix de l’ONU sont incompatibles avec le principe, essentiel d’un point de vue humanitaire, de l’impartialité des secours. C’est pourquoi MSF ne participe pas aux coordinations onusiennes et plus généralement ne se considère pas comme entrepreneur de paix. Cette position, autrefois source de tensions avec les représentants de l’ONU, est désormais connue et acceptée. Il est à noter que nombre d’ONG travaillant dans ces situations sont entrées au contraire dans les dispositifs nationaux de coordination sous autorité de l’ONU, en raison des pressions en ce sens venant des bailleurs de fonds.

Je reviens maintenant vers une forme emblématique de la pratique médicale de guerre, la chirurgie. Sa place est centrale dans l’imaginaire médical de la guerre, minoritaire dans la pratique et fortement valorisée à MSF. Sauf exception, la traumatologie d’urgence n’est pratiquée qu’en milieu urbain, là où les blessés sont à une courte distance des centres de soins. Au cours des années 1980 et 1990, N’Djamena, Mogadiscio, Kigali et Monrovia en furent les principaux théâtres tandis que la médecine des populations déplacées par la guerre restait un terrain prédominant du point de vue du volume d’action. Ces missions chirurgicales posent de difficiles problèmes médicaux, organisationnels et politiques.

Sur le plan médical, les techniques opératoires sont tributaires de l’équipement et du personnel formé disponibles et ne sont donc pas dictées seulement par la clinique. Ces techniques varient par ailleurs d’une école chirurgicale à l’autre et les séjours généralement courts des chirurgiens rendent plus difficile encore la nécessaire continuité des soins. La chirurgie exigeant, au-delà du matériel spécialisé, un minimum d’installations (locaux appropriés, oxygène, eau, électricité), les problèmes logistiques de mise en place, d’entretien et d’approvisionnement doivent être abordés d’emblée, sous peine de graves conséquences pour les patients. De plus, la spécialisation des jeunes chirurgiens, formés à travailler avec un plateau technique très sophistiqué (imagerie et biologie notamment), par conséquent peu enclins à s’en remettre à la clinique et à déborder de leur domaine de compétence, accroît encore ces difficultés. Plus généralistes et plus cliniciens, les chirurgiens âgés sont généralement mieux adaptés à l’exercice de leur métier en situation précaire.

Sur le plan politique, la localisation du centre chirurgical doit faire l’objet d’une attention rigoureuse. L’intérêt pour les groupes combattants de disposer d’installations chirurgicales confère une grande importance à l’emplacement de celles-ci. La facilité d’accès pour les blessés, critère de choix important, n’est pas seulement affaire de topographie mais aussi d’agrément de la part des responsables militaires, ce qui impose des contacts immédiats, réguliers et transparents avec eux. Le respect des équipes médicales, des convois et des lieux de soins doit être un engagement de la part des chefs des différentes parties belligérantes mais ne peut être garanti dans un contexte où opèrent des groupes armés hors contrôle. C’est pourquoi il est parfois nécessaire de recourir à une protection armée à vocation dissuasive contre les pillards, l’alternative étant l’abstention. Les acteurs humanitaires sont partagés sur cette façon de faire qui, en dépit des objections de principe et des difficultés pratiques qu’elle soulève, a été employée à plusieurs reprises, en Somalie notamment par MSF, le CICR et ACF. En Irak, où les assassinats et enlèvements rendent bien trop périlleuse une présence humanitaire indépendante dans le pays, MSF a fait le choix de se tenir à la périphérie en installant des centres chirurgicaux en Jordanie, puis au Kurdistan et en Iran, ainsi que de soutenir matériellement des équipes médicales irakiennes à Bagdad. Celles-ci adressent aux centres MSF des blessés qu’elles ont opérés elles- mêmes et qui nécessitent une reprise chirurgicale secondaire impossible à effectuer sur place.

J’ai évoqué l’importance des outils épidémiologiques pour le suivi de l’assistance médicale dans les camps de réfugiés et de personnes déplacées. L’un d’entre eux, l’enquête de mortalité rétrospective (EMR), mérite une mention particulière en raison de l’usage de ses résultats à des fins d’évaluation générale et de communication. Les deux premières qui furent réalisées par MSF illustrent cette volonté de quantifier pour dénoncer, quoique avec des objectifs très différents. En 1989, MSF commandita auprès d’un épidémiologiste indépendant une évaluation de la mortalité de la guerre d’Afghanistan. L’enquête fut réalisée au Pakistan, où se trouvaient alors trois millions de réfugiés afghans, elle établit le chiffre des pertes à un million. Je ne suis pas en mesure de garantir la rigueur scientifique de ce travail ni d’affirmer qu’il s’agissait de la première tentative de ce type en rapport avec cette guerre. Il est certain, en revanche, que ce chiffre fait foi depuis cette époque et il est difficile de ne pas le rapprocher du bilan de la guerre du Vietnam, qui est curieusement le même. Quoiqu’il en soit, l’objectif pour MSF était de mettre en lumière l’extrême violence de ce conflit en insistant sur la stratégie de terreur employée par l’Armée rouge. Il s’inscrivait dans la suite de prises de position analogues répétées, fondées sur le travail de l’association dans la plupart des camps de réfugiés du monde et le constat que 90% de ceux-ci fuyaient des régimes communistes ou des guerres provoquées par les alliés de l’URSS. Constat à rapprocher du fait que les dirigeants de MSF (dont l’auteur de ces lignes), pendant la guerre froide, se référaient plus volontiers à Raymond Aron qu’à Frantz Fanon et concevaient l’action humanitaire comme essentiellement antitotalitaire.

La deuxième EMR réalisée par MSF se situe en Somalie, où la guerre avait éclaté à Mogadiscio en janvier 1991 après avoir été pendant des années contenue dans le nord du pays. Conduite cette fois-ci par des membres de MSF, cette enquête devait donner une assise objective, c’est à- dire quantifiée, au constat de famine fait par les équipes présentes sur le terrain. Elle montra que, au sein de la population déplacée par la guerre, un quart des enfants de moins cinq ans étaient morts au cours des six mois précédant l’enquête. Un tel « coup de hache » démographique attestait l’urgence et le caractère impérieux d’une opération massive d’aide alimentaire, que MSF (ainsi d’ailleurs que le CICR et World Vision) appelait de ses vœux et que les Nations unies différaient pour des raisons de sécurité. Les conclusions furent présentées au cours de conférences de presse et d’auditions parlementaires (Parlement européen et Commission, Congrès américain), le rapport fut largement distribué mais les choses en restèrent là. Notons que, six mois plus tard, lorsque le Secrétaire général des Nations unies Boutros Boutros-Ghali entreprit de mobiliser le Conseil de sécurité pour une intervention militaire en Somalie, il reprit les chiffres de MSF - parmi d’autres - en les étendant à l’ensemble de la population du pays, alors qu’ils ne concernaient que les déplacés et montraient au contraire que les populations dites résidentes n’étaient que marginalement affectées. Cette dramatisation, destinée à accroître la pression sur les Etats-Unis pour les amener à envoyer leurs troupes - et ensuite les vivres - atteint son but avec le déclenchement de l’opération « Restore Hope » en décembre 1992.

Les EMR restent pratique courante, pour MSF comme pour de nombreux organismes oeuvrant dans le domaine de la santé. Leur fonction mobilisatrice de l’opinion est parfois centrale, comme l’attestent les exemples précédents ainsi que les enquêtes effectuées ces dernières années sur les guerre du Congo, d’Irak et du Soudan. Mais elles sont aussi et surtout réalisées en routine dans le but d’évaluer le niveau de gravité et l’évolution de la mortalité dans les régions où intervient MSF, lorsque la situation est particulièrement critique ou présente des risques de détérioration. Si la charge symbolique qu’elles véhiculent les place parfois, en dehors de toute intention de départ, au cœur de controverses virulentes, les EMR servent d’abord à déterminer si un « seuil d’urgence » est franchi et à oeuvrer pour améliorer (en l’amplifiant, en la réajustant) l’assistance fournie par MSF et d’autres acteurs de secours. La diffusion des résultats d’EMR donne fréquemment lieu, de ce fait, à des tensions entre les différents intervenants de l’aide mais aussi à l’intérieur des organismes concernés.

Dans les conflits qui durent et s’étendent, les armes ne sont à l’origine que d’un tiers –voire un quart- de la surmortalité. Les causes primordiales de la mort sont la malnutrition et les maladies infectieuses, ce qui explique la nature du dispositif médical exposé plus haut. L’expérience accumulée dans ces domaines en situations de guerre a conduit MSF à étendre son action au champ des épidémies aiguës en général, hors contexte immédiat de conflit : soins aux malades, contrôle et intervention épidémiologiques, et le cas échéant campagnes de vaccination sont les bases communes de ce type d’opérations dans des situations dites « stables ». Des techniques d’intervention médicales élaborées pour répondre aux conséquences de la guerre ont ainsi été reconverties et adaptées au temps de paix. Cette exportation vers des situations autres que celles de violences armées s’est produite avec d’autant plus de facilité qu’il n’y a pas, dans la majorité des cas, de solution de continuité entre les deux, la guerre (affrontements urbains mis à part) ne faisant qu’amplifier l’incidence de pathologies qui lui préexistent.

Pour citer ce contenu :
Rony Brauman, « Blessés, réfugiés, déplacés. Médecine et conflits armés », 12 mai 2007, URL : https://msf-crash.org/fr/camps-refugies-deplaces/blesses-refugies-deplaces-medecine-et-conflits-armes

Si vous souhaitez critiquer ou développer cet article, vous pouvez nous retrouver sur Twitter ou directement sur notre site.

Contribuer