Réfugiés rwandais à la frontière entre le Burundi et le Rwanda, 13 avril 1994
Tribune

Le Rwanda à huis clos

Jean-Hervé Bradol
Jean-Hervé
Bradol

Médecin, diplômé de Médecine tropicale, de Médecine d'urgence et d'épidémiologie médicale. Il est parti pour la première fois en mission avec Médecins sans Frontières en 1989, entreprenant des missions longues en Ouganda, Somalie et Thaïlande. En 1994, il est entré au siège parisien comme responsable de programmes. Entre 1996 et 2000, il a été directeur de la communication, puis directeur des opérations. De mai 2000 à juin 2008, il a été président de la section française de Médecins sans Frontières. De 2000 à 2008, il a été membre du conseil d'administration de MSF USA et de MSF International. Il est l'auteur de plusieurs publications, dont "Innovations médicales en situations humanitaires" (L'Harmattan, 2009) et "Génocide et crimes de masse. L'expérience rwandaise de MSF 1982-1997" (CNRS Editions, 2016).

Portrait de Marc Le Pape
Marc
Le Pape

Marc Le Pape a été chercheur au CNRS et à l'EHESS. Il est actuellement membre du comité scientifique du CRASH et chercheur associé à l’IMAF. Il a effectué des recherches en Algérie, en Côte d'Ivoire et en Afrique centrale. Ses travaux récents portent sur les conflits dans la région des Grands Lacs africains. Il a co-dirigé plusieurs ouvrages : Côte d'Ivoire, l'année terrible 1999-2000 (2003), Crises extrêmes (2006) et dans le cadre de MSF : Une guerre contre les civils. Réflexions sur les pratiques humanitaires au Congo-Brazzaville, 1998-2000 (2001) et Génocide et crimes de masse. L'expérience rwandaise de MSF 1982-1997 (2016). 

Date de publication

Cette tribune a été publiée dans le journal Libération le 15 mai 1998.

La décision de créer une mission parlementaire d'information sur le Rwanda a été une heureuse surprise. Mais entendre à huis clos les responsables administratifs et militaires de l'engagement français au Rwanda est une mauvaise décision. Nous espérions que la gestion secrète de la politique africaine n'avait pas la faveur de Jospin; nous constatons qu'il fait obstacle à une gestion publique du passé.

La politique conduite par la France au Rwanda de 1990 à 1994 donne lieu à des interprétations peut-être malveillantes que favorise la publicité incomplète des débats actuels. A cela nous ne voyons qu'un remède, la publicité complète. Avec, pour limite éventuelle, les éléments d'interventions qui pourraient nuire aux relations de la France avec des pays étrangers (...).

Il s'agit tout de même d'enquêter sur des crimes contre l'humanité, sur un génocide où l'Etat français a peut-être des responsabilités. Et la mission parlementaire d'information se voit assigner pour règle de tenir à l'écart l'opinion, la presse, les citoyens lorsque sont convoqués ceux qui ont mis en oeuvre au Rwanda la politique française, ceux qui, étant sur place et pour certains sur le front, devaient connaître la nature du régime dirigé par le président Habyarimana, les meurtres commis dès 1990, la préparation des massacres, l'armement des milices, la responsabilité d'hommes du pouvoir dans les médias de la haine. Quand interviennent la plupart des responsables qui ont connu le terrain, qui sont censés avoir informé le gouvernement, nous sommes traités en citoyens de seconde zone, auxquels on ne reconnaît pas le droit de savoir, d'approuver ou de blâmer les actes de ceux qui ont administré la politique de la France au Rwanda. Ces huis clos sont néfastes. Ils susciteront inévitablement des soupçons, alors que la mission d'information pouvait démentir les accusations imaginaires. Citoyens de seconde zone, nous demandons aux députés de la mission d'information que le rôle de la France au Rwanda ne reste pas un secret d'État.

Lire la tribune sur le site de Libération

 

Pour citer ce contenu :
Jean-Hervé Bradol, Marc Le Pape, Claudine Vidal, « Le Rwanda à huis clos », 15 mai 1998, URL : https://msf-crash.org/fr/guerre-et-humanitaire/le-rwanda-huis-clos

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