Le camp de migrants afghans à Patras en Grèce
Entretien

En Grèce, des bidonvilles sont dans une situation comparable à celle de terrains plus traditionnels de MSF

Michaël Neuman
Michaël
Neuman

Directeur d'études au Crash depuis 2010, Michaël Neuman est diplômé d'Histoire contemporaine et de Relations Internationales (Université Paris-I). Il s'est engagé auprès de Médecins sans Frontières en 1999 et a alterné missions sur le terrain (Balkans, Soudan, Caucase, Afrique de l'Ouest notamment) et postes au siège (à New York ainsi qu'à Paris en tant qu'adjoint responsable de programmes). Il a également participé à des projets d'analyses politiques sur les questions d'immigration. Il a été membre des conseils d'administration des sections française et étatsunienne de 2008 à 2010. Il a codirigé "Agir à tout prix? Négociations humanitaires, l'expérience de MSF" (La Découverte, 2011) et "Secourir sans périr. La sécurité humanitaire à l'ère de la gestion des risques" (CNRS Editions, 2016).

Entretien avec Reveka Papadopoulou, directrice générale de MSF en Grèce.

Voilà cinq ans que la Grèce fait face à une crise économique majeure. Les effets de 15 ans de croissance ininterrompue ont été balayés: le chômage est ainsi passé de 6,6 % en mai 2008 à 20% fin 2011, celui des jeunes atteignait plus de 40 % à la même époque. Nous avons interrogé Reveka Papadopoulou, la directrice générale de la section grecque de Médecins Sans Frontières afin de comprendre les conséquences de la crise, tant sur la société - notamment en matière sanitaire -, que sur l'ONG elle-même.

Michaël Neuman : Comment la crise grecque affecte-t-elle Médecins Sans Frontières ?

La première conséquence de la crise est sans aucun doute son impact sur le moral du personnel. Tous les employés ont un mari, un frère ou une mère qui a perdu son emploi et/ou dont les revenus ont drastiquement baissé, du fait d'une baisse des salaires, des pensions de retraites, de la hausse des impôts. Beaucoup de petits commerçants qui ont dû fermer boutique ne touchent aucune assurance chômage. Nous ne sommes pas en dehors de la société qui nous héberge. Or celle-ci est réellement en état de dépression collective.
La grande majorité de nos donateurs sont des retraités et des fonctionnaires. Au terme de cinq années de récession économique, nous sommes touchés de plein fouet par la chute des revenus de ces classes populaires. Nous arrivons à maintenir le nombre de nos donateurs ; ils sont environ 40 000. Mais leur contribution moyenne est en chute libre. De 2009 à 2011, nous avons perdu 40% de nos revenus.
Nous avons dû réduire nos effectifs: le personnel du bureau d'Athènes est ainsi passé de 25 à 21. Nous avons également revu nos stratégies de collecte, car nous étions confrontés à un dilemme: pouvions-nous continuer d'envoyer des mailings à une société à ce point-là sous pression? Nous avons diminué le budget de la collecte de 40 %. Lorsque nous avons relayé l'appel de fonds de Médecins sans Frontières pour la Somalie en septembre-octobre de l'année dernière, nous avons toutefois collecté 300 000 euros. Ceci montre malgré tout que la société grecque comprend notre démarche d'une solidarité qui dépasse les frontières.
La pression se voit aussi sur le recrutement. Si le nombre de candidats à l'expatriation n'a pas significativement évolué, les candidatures émanent de personnes plus diplômées et expérimentées. Au siège, lorsque nous avons ouvert un poste de comptable à mi-temps, dont le salaire tournait autour de 500 euros, nous avons reçu près de 300 candidatures. C'est considérable.

Peut-on mesurer l'impact de la crise sur la santé des personnes vivant en Grèce ?

Les plans d'austérité imposés à la Grèce exigent notamment la suppression de 150 000 postes dans la fonction publique en trois ans. Dans les hôpitaux, ils ont eu pour conséquence des coupes dans les budgets de 40% depuis 2009, des fusions entre établissements, des réductions d'effectifs. L'approvisionnement en médicaments connaît des ruptures régulières, du fait d'impayés. Et face à cela, la demande a augmenté - d'un quart entre 2009 et 2010 -, puisque nombre de personnes ne peuvent plus payer les services de la médecine privée. Même au sein des hôpitaux publics, l'accès est limité pour des raisons financières, puisqu'un tarif minimum de 5 euros est fixé par acte, hors cas d'urgence vitale.
Il y a une augmentation substantielle de la prévalence de la tuberculose parmi les migrants par exemple. L'incidence du VIH parmi les usagers de drogues à Athènes a augmenté de 1250% en un an, à mettre en parallèle avec l'interruption des programmes sociaux et notamment d'échange de seringues. L'incidence du VIH au sein de la population générale a cru de 52%. Pire, nous voyons ressurgir des cas de transmission du virus de la mère à l'enfant. Citons également le paludisme. Eradiqué en Grèce au milieu des années 70, il a fait sa réapparition à partir de 2009; puis c'est à une épidémie de cas autochtones que nous avons fait face en 2011. Nous avons également été confrontés à une épidémie du virus du Nil occidental en 2010 qui a fait 35 morts.
Nous avons aussi constaté une incapacité grandissante des familles à faire vacciner leurs enfants, puisque ces vaccinations s'effectuaient chez des pédiatres auxquels de nombreux Grecs n'ont plus accès.
Un certain nombre de ces chiffres ont été publiés dans le Lancet - l'article mentionnait également une augmentation des suicides de 40% entre les premiers semestres de 2010 et de 2011.
Cette crise sanitaire touche les retraités, les chômeurs, les jeunes, les personnes atteintes de maladie chronique etc. La vulnérabilité s'étend. La crise ne touche pas tout le pays de manière uniforme, mais il y a des poches de pauvreté extrême qui se développent. Les situations de certains bidonvilles sont tout à fait comparables à ce qu'on peut rencontrer sur les terrains d'intervention plus traditionnels de MSF.

MSF est une organisation médicale, à vocation internationale certes, mais qui a développé des programmes ‘nationaux' depuis longtemps. L'ONG par exemple travaille en Grèce depuis 1996. Comment faites-vous face à ce paysage sinistré?

Ce n'est pas comme si les gens faisaient la queue au bureau pour se faire soigner. En revanche, nous recevons de nombreux dons en nature: nourriture, médicaments, vêtements, pas toujours facile à gérer. Ce que nous tentons de faire, c'est de ne pas agir isolément. Nous nous associons notamment avec des institutions médicales universitaires, pour tenter de définir, ensemble, un constat et des éléments de réponses appropriées. Je ne souhaite en aucun cas cultiver l'illusion que les ONG puissent être la réponse aux problèmes que nous traversons. Ce qu'il faut faire est de contribuer à renforcer nos collègues du secteur public qui luttent pour que la santé continue d'être considérée comme un bien commun. Dans cet esprit, nous n'avons pas souhaité ouvrir de cliniques privées.
Nous menons également des activités ponctuelles d'assistance, auprès des sans-domiciles pendant la vague de froid hivernal par exemple. Nous travaillons également à la mise en place d'un projet concernant le paludisme. Et continuons à travailler auprès des migrants. Ceci n'est d'ailleurs pas sans poser de problèmes: fait nouveau qui témoigne des changements à l'œuvre dans la société grecque, nous recevons régulièrement des lettres ou des coups de téléphones de menaces suite à nos interventions auprès des étrangers. Les agressions racistes à Athènes sont de plus en plus nombreuses.

Face à ces évolutions, comment vous positionnez-vous publiquement, et politiquement ?

Pendant longtemps, l'Eglise a conservé le monopole de la solidarité. Ce qui se passe actuellement dans le pays est donc fascinant: on voit se développer des nouveaux réseaux de solidarité, les gens travaillent à résoudre leur problème ensemble. Des cliniques sociales, des pharmacies sociales, des supermarchés sociaux se mettent en place. De nombreux membres de l'organisation participent à ces actions, sur une base individuelle. Quelques-uns ont ainsi décidé d'assurer une partie du service médical lors des manifestations. Réalisons ici que ce qui se passe actuellement en Grèce pourrait être le modèle de ce que sera l'Europe dans un futur proche. Souhaitons-nous que le contrat social entre gouvernés et gouvernements se rompe partout comme c'est le cas ici ?
Toutefois, les interventions publiques d'organisations grecques dans le débat public sont nombreuses, incessantes. Quel pourrait être l'intérêt pour MSF de dénoncer l'incapacité des autorités publiques à gouverner efficacement? Tout le monde le dit déjà, de l'épicier du bas de la rue, aux journalistes en passant par les associations. Il faut que nous trouvions notre propre voix. Aujourd'hui, nous défendons avant tout le point de vue qu'un service public de santé fort doit persister. Il y a eu beaucoup de frustrations au sein de l'association de la part de nombreux membres qui souhaitaient que MSF soit plus présente dans le débat public et aussi sur le terrain. Le fait que nous intervenions auprès des sans-domiciles hier, des personnes atteintes par le paludisme demain, tout cela est un catalyseur d'énergies qui nous aide a surmonter la situation dans laquelle nous nous trouvons.

 

Pour citer ce contenu :
Michaël Neuman, « En Grèce, des bidonvilles sont dans une situation comparable à celle de terrains plus traditionnels de MSF », 12 mars 2012, URL : https://msf-crash.org/fr/blog/acteurs-et-pratiques-humanitaires/en-grece-des-bidonvilles-sont-dans-une-situation-comparable

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